Droit au déréférencement : le Conseil d’État tire les conséquences des arrêts de la Cour de justice de l’Union européenne
Dans sa décision du 27 mars 2020, le Conseil d’État a précisé la portée géographique du droit au déréférencement. La CNIL prend acte de cette décision qui tire les conséquences automatiques de l’arrêt de la Cour de justice de l’Union européenne (CJUE) du 24 septembre 2019.
Le droit au déréférencement permet à toute personne de demander à un moteur de recherche de supprimer certains résultats qui apparaissent à partir d’une requête faite sur ses nom et prénom. Cette suppression ne signifie pas l’effacement de l’information sur le site internet source.
En 2016, la Commission avait prononcé une sanction pécuniaire publique à l’encontre de la société Google qui ne s’était pas conformée à une mise en demeure de la Présidente de la CNIL, de rendre effectif le déréférencement sur l’ensemble des versions nationales de son moteur de recherche Google Search. Pour la CNIL, lorsqu’il était fait droit à la demande d’une personne, seul un déréférencement mondial était de nature à permettre une protection effective des droits des personnes.
La société Google avait alors saisi le Conseil d’État au motif que les mesures adoptées depuis mars 2016 étaient suffisantes, à savoir un mécanisme de redirection automatique vers la version nationale du site utilisé par l’internaute et un blocage de l’accès à un contenu déréférencé, à tout internaute identifié comme localisé sur ce territoire.
L’arrêt du Conseil d’État, intervenu le 27 mars 2020, tranche définitivement ce contentieux. En tirant les conséquences nécessaires de la décision rendue par la Cour de Justice de l’Union européenne (CJUE) dans son arrêt du 24 septembre 2019, le Conseil d’État annule la sanction de la CNIL, mais précise les marges de manœuvre de la Commission pour protéger efficacement les personnes.
Dans cet arrêt, la CJUE avait apporté des précisions sur la portée territoriale à donner à un déréférencement prononcé sur le fondement du droit de l’Union :
- La Cour limite en principe le déréférencement au territoire européen, tout en exigeant de ce dernier qu’il soit effectif sur ce territoire (au besoin, au moyen de mesures techniques visant à empêcher, ou à décourager des internautes européens d’accéder aux liens déréférencés). La Cour précise qu’il appartient à la juridiction nationale (le Conseil d’Etat) d’apprécier l’effectivité des mesures prises par l’exploitant du moteur de recherche.
- La CJUE reconnait la compétence d’une autorité de contrôle ou judiciaire, à l’aune de ses standards nationaux de protection des droits fondamentaux, pour obliger, au cas par cas (et non de manière systématique comme la CNIL l’avait envisagé) un moteur de recherche à déréférencer les résultats sur toutes les versions de son moteur si cela se justifiait par une mise en balance entre protection de la vie privée du demandeur, d’une part, et droit à la liberté d’information, d’autre part.
Il restait dès lors au Conseil d’État à appliquer cette règle au contentieux qui opposait la société Google à la CNIL.
Par la décision du 27 mars 2020 :
- Le Conseil d’État rappelle que le manquement reproché à la société Google doit être jugé selon les dispositions de la loi du 6 janvier 1978 modifiée transposant la directive du 24 octobre 1995, la sanction de la CNIL datant de 2016.
- Ensuite, le Conseil d’État rappelle le principe du déréférencement européen (avant l’intervention de la CNIL, le déréférencement était limité au pays du demandeur).
- Enfin, le Conseil prend acte que le législateur français n’a pas adopté de dispositions spéciales permettant, en France, à la CNIL d’opérer un déréférencement excédant le champ prévu par le droit de l’Union. En l’absence d’intervention du législateur, la CNIL ne peut dès lors qu’ordonner un déréférencement européen.
- Faisant application de cette grille d’analyse à la sanction prononcée en 2016, le Conseil d’État n’a pu que constater que la décision de la CNIL, en ordonnant un déréférencement mondial, au lieu d’un déréférencement européen, était contraire aux règles précisées en 2019 par la CJUE. Il a, par suite, prononcé l’annulation de cette sanction.
La CNIL adaptera dans les prochains jours les contenus de son site consacrés au « droit à l’oubli » pour tenir compte des précisions données par le Conseil d’État sur ce droit essentiel consacré au profit des personnes par le RGPD.